Glory Box

Quatorze ans dans ce quotidien qu'il vaut mieux avoir en journal. Un feuilleton envoyé depuis le monde d'avant, chaque 15 du mois.

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Par Charlotte Moreau
15 avr. · 5 mn à lire
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Chapitre 20 - Même pas peur

Certains confrères tombent noblement sous les balles en Syrie, moi je vais crever ici. À Limoges, dans une Clio, en rentrant d’un reportage sur « L’amour est dans le pré ».

L’essuie-glace est réglé au maximum et ça ne suffit pas. À travers le pare-brise envahi de giclées d’eau et de buée, je ne distingue pas grand chose. Sous mes pieds les pédales semblent flotter, comme si je glissais sur une flaque géante. Tout pourrait s’arrêter comme ça, aussi bêtement que ça. Encastrée un soir d’hiver sur l’A20. « La conductrice a perdu le contrôle de son véhicule », lirait-on dans la presse locale, qui pour une fois ne serait pas Le Parisien. Je suis partie de chez Gégé - saison 12, si t’as la ref - vers 17h30, en démarrant le « cercueil ». C’est comme ça qu’on appelle les Clio chez moi, en Essonne.

Je déteste ces voitures de reportage. Celles que les reporters utilisent pour sillonner la France, achetées en série par le journal, l’entrée de gamme, blanche et qui sonne creux quand tu claques la portière. Si j’avais insisté pour prendre ma voiture à moi, une Allemande vissée au bitume, si j’avais fait ma bourgeoise ou assumé de l’être, si je m’étais assise sur mes frais de déplacement, je n’en serais pas là. Terrorisée à 80 km/h sur la voie de droite, envahie de cette peur primale, la peur pour ton intégrité physique.

J’ai 36 ans et cette peur-là, ce n’est pas ce qui caractérise mon quotidien ni globalement mes reportages. D’ailleurs, ça a été le premier malentendu avec mes parents au sujet de mon avenir. Moi qui veux devenir journaliste et ma mère qui a peur. Peur parce qu’« on ne connaît personne » dans ce métier. Peur parce que pour mes parents, ce métier, c’est une femme à l’air soucieux qui prend l’antenne de TF1 en gilet pare-balles. C’est Marine Jacquemin, Memona Hintermann, Patricia Allémonière, Florence Schaal. Ou alors, c’est Claire Chazal. Presqu’un membre de la famille, qui est de tous nos repas chaque week-end, et dont on commente la tenue religieusement (on la préfère en blanc).

Mais moi je m’en fous des gilets pare-balles, de TF1 et de Claire Chazal. Moi ce que j’aime c’est quand les mecs de « Première » mettent 5 étoiles à un film d’action. C’est ça que je veux faire. Écrire dans un mensuel, mettre des étoiles, parler de films sans être cinéphile.

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